La philosophie du "libre" et ses enjeux pour les bibliothèques
Pessac, journée d'étude du 5 juin 2008
Alain Caraco
< http://alain.caraco.free.fr >
1. Qu'est-ce qu'un logiciel libre ?
1.1. Le contexte : une réaction
contre la propriété immatérielle
exclusive
Si je donne mon gâteau, je ne peux plus le manger.
Si je donne la recette de mon gateau, l'autre en profite sans
m'en priver.
Cette réflexion n'est pas nouvelle :
Si
la nature a rendu moins susceptible que tout autre chose
d'appropriation exclusive, c'est bien l'action du pouvoir de la
pensée qu'on appelle une idée, qu'un individu
peut posséder de façon exclusive aussi longtemps
qu'il la garde pour lui ; mais au moment où elle est
divulguée, elle devient la possession de tous, et celui qui
la reçoit ne peut pas en être
dépossédé. [...] Celui qui
reçoit une idée de moi
reçoit un savoir sans diminuer le mien ; tout comme celui
qui allume sa bougie à la mienne reçoit la
lumière sans me plonger dans la pénombre. [...]
Les inventions, par nature, ne peuvent donc être sujettes
à la propriété.
Thomas Jefferson, cité par Florent Latrive, in Du bon usage
de la piraterie, 2004, page 32
Elle prend de plus en plus d'importance dans une
société
où la richesse se fonde principalement sur des biens
immatériels. Voir les débats actuels :
1.2. Les quatre libertés
L'expression
« logiciel libre », donnée par Richard
M.
Stallman, fait référence à quatre libertés pour
un individu ayant
acquis une version du logiciel, définies par la licence de
ce
logiciel :
- la liberté d'exécuter le programme,
pour tous les usages (liberté 0) ;
- la
liberté d'étudier le fonctionnement du programme,
et de l'adapter à ses
besoins (liberté 1) ; pour cela, l'accès au code
source est nécessaire ;
- la liberté de redistribuer des copies, donc
d'aider son voisin, (liberté 2) ;
- la liberté d'améliorer le programme
et de publier ses améliorations, pour en faire profiter
toute la communauté (liberté 3) ; pour cela,
l'accès au code source est nécessaire.
C'est une logique déroutante, car à la
fois libérale (chacun peut
contribuer au développement du logiciel et prendre des
initiatives, y
compris celle de créer un logiciel concurrent, mais personne
n'y est
obligé) et communiste (tous ceux qui en ont besoin peuvent
utiliser le
logiciel sans payer) !
C'est
la face heureuse de l'Internet. Et l'union paradoxale (dialectique
diront les marxistes) de la concurrence libérale et du
collectivisme.
Patrick Sabatier, in Libération du 10 novembre 2004, page 6.
Ces
libertés sont définies par la licence
publique générale
GNU, abrégée en GNU / GPL.
2. Un logiciel libre est-il gratuit
?
2.1. Libre et/ou gratuit ?
L'expression
logiciel libre correspond au terme anglais free software. Ce
dernier est ambigu en anglais, free pouvant signifier « libre
»
ou « gratuit ».
On
pourrait dire qu'un logiciel libre est gratuit une fois qu'il a
été
payé. Pour reprendre la formule d'Ernestine
Chasseboeuf : J'ai payé mon plombier
pour qu'il m'installe une
baignoire, mais je ne le repaye pas à chaque fois que je
prends un bain.
Cela
pose la question des développeurs et de leur
rémunération.
Un logiciel libre peut être
développé :
- par des salariés d'une entreprise
- par des fonctionnaires
- par des travailleurs indépendants, qui facturent
une prestation
- par des bénévoles
2.2. Quel modèle économique ?
Un
logiciel libre étant copiable gratuitement, il n'est pas
possible de générer des revenus de la vente des
licences. Pour rappel, Microsoft a une marge moyenne de 85% sur les
licences de Windows et de Microsoft Office !
En
revanche, il est tout à fait possible de vendre des services
autour du logiciel ibre :
- aide au choix de la solution
- aide à la mise en oeuvre (installation,
paramétrage)
- formation
- assistance
Autrefois
les éditeurs de SIGB vivaient grâce à
la marge
sur le matériel. Aujourd'hui, grâce aux licences
sur le
logiciel ; demain grâce aux services ?
3. Avantages et inconvénients
des logiciels libres
3.1. Avantages
- Le coût d'achat (souvent nul)
- L'indépendance vis-à-vis du
fournisseur, grâce à l'ouverture du code source
- La pérennité en cas de défaillance du
fournisseur, un autre pouvant reprendre le projet
- La facilité à intégrer des
modules provenant d'autres logiciels, grâce à
l'ouverture du code source
- La fréquence des mises à jour,
grâce à la communauté des
développeurs
- La facilité à faire
évoluer le logiciels selon ses besoins, seul ou
à plusieurs, à condition de trouver des
développeurs intéressés et
compétents
- Le plaisir (pas partagé par tous)
d'être acteur de son informatique et pas seulement
consommateur
3.2. Inconvénients
- La nécessité d'une
compétence informatique moyenne à
élevée dès qu'on veut
réellement profiter des libertés du logiciel
- Le poids d'une certaine marginalité (de moins en moins
importante cependant) :
- quelques
matériels non supportés et quelques sites web
impossibles à visualiser
- souvent un décalage avec la culture du service
informatique de la collectivité de tutelle
- la difficulté de trouver un prestataire de
service extérieur capables de soutenir un projet d'une
certaine taille (plusieurs dizaines de postes)
3.3. C'est selon...
- S'il fonctionnait parfaitement et correspondait
parfaitement aux besoins exprimés dans le cahier des
charges, le logiciel propriétaire nécessiterait
moins de compétences internes et moins de temps
passé à paramétrer, régler
les problèmes et demander des évolutions. La
fréquentation des clubs d'utilisateurs prouve
néanmoins souvent le contraire
- Dans une consultation, la gratuité du logiciel
libre peut soudainement conduire le vendeur de logiciel
propriétaire à réduire très
fortement ses marges et donc sont prix de vente.
4. Où en sont les logiciels libres ?
4.1. Les logiciels libres sont déjà
très
présents sur les serveurs
4.2. Les logiciels libres remontent du serveur vers les
postes de travail bureautique
4.3. Les applications "métier" libres commencent
à se développer
Voir une sélection sur Framasoft
Koha
- Originaire de Nouvelle-Zélande
- Equipe de développement internationale
- Références
: Nouvelle-Zélande,
Nelsonville (Ohio), SAN Ouest-Provence en cours, plusieurs SCD
intéressés
- Société de service française très impliquée
PMB
- Originaire de France
- Conçu dès l'origine pour les
bibliothèques municipales appartenant au réseau
d'une bibliothèque départementale
- Société de service associée
Moccam
- Originaire de France
- Ce n'est pas un SIGB, mais un outil permettant de
réaliser un catalogue collectif à partir de SIGB
hétérogènes
- Logiciel libre, mais diffusé aussi par une
société éditrice d'un logiciel
propriétaire
4.4. Les éditeurs de SIGB
propriétaires commencent
à s'intéresser aux logiciels libres
- Présence aux journées
d'études
- Conception d'interfaces web compatibles tous navigateurs
(dont Firefox)
- Export bureautiques vers les formats OpenOffice.org
- Migration progressive vers XML
- pour les fichiers de paramétrage
- pour remplacer les formats MARC (BiblioML)
- pour remplacer Z-3950 (OAI)
4.5. Wikipédia entre dans les
bibliothèques
- Par la porte (enthousiame)
- Par la fenêtre (méfiance envers une
information non validée par une autorité et
impermanente)
5. Quelques références
- http://www.framasoft.net/.
On y trouve un large sélection commentée de
logiciels libres, le plus souvent en français.
- Licences
publiques, logiciels libres et ouverts : de l'informatique
subie aux
SIGB fexibles / Christian Rogel dans le BBF 2004 / 6
- La
bataille du logiciel libre : dix clés pour comprendre
/ Perline et Thierry Noisette. - La Découverte, 2004. - ISBN
2-7071-4384-7
- Du
bon usage de la piraterie : culture libre, sciences ouvertes
/ Florent Latrive ; préface de Lawrence Lessig. - Exils,
2004. - ISBN 2-912969-59-X
- L'avenir
des idées : Le sort des biens communs à
l'heure des réseaux numériques /
Lawrence Lessig, traduit de l'anglais (USA) par Jean-Baptiste
Soufron et Alain Bony. - 2001 ; trad française PUL : 2005. -
ISBN 2-7297-0772-7
- Cause
commune : l'information entre bien commun et
propriété / Philippe Aigrain. - Paris :
Fayard, 2005. - ISBN 2-213-62305-8
- La vie n'est pas une marchandise : la dérive des
droits de propriété intellectuelle / Vandana Shiva,
traduit de l'anglais par Lise Roy-Castonguay. - Les éditions de
l'atelier, 2004. - ISBN 2-7082-3691-1
- Les
logiciels libres / Dossier
rédigé par : Jacinthe
Deschatelets, 2005
- Mener un projet Open source en bibliothèque, documentation
et archives / Calire Scopsi, Laurent Soual, Jean-François Ferraille et
Sylvain MAchefer. - Cercle de la Librairie, 2007. - ISBN
978-2-7654-0954-0