Il y a en ce moment un vent de fronde contre le TGV Lyon-Turin. Des manifestations ont eu lieu dans le Val de Suse, en Italie, et ont donné lieu a des affrontements avec les forces de l'ordre. Samedi 10 décembre 2005, une petite manifestion avait même lieu à Chambéry par solidarité avec les italiens. Je peux comprendre que des riverains ne souhaitent pas voir passer une infrastructure supplémentaire dans leur vallée. Cependant, dire aujourd'hui "Non au TGV" sera interprété par une grande partie du public et de la classe politique comme un "Oui à l'autoroute et au camion". Il importe donc de donner au chemin de fer les moyens de redevenir un mode de transport majoritaire pour les moyennes et longues distances, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Or, alors que les pouvoirs publics ont massivement investi dans l'amélioration du réseau routier, notamment par la création des autoroutes, dès les années 1950, les chemins de fer n'ont été améliorés, grâce au TGV, qu'à partir de la fin des années 1970. Il suffit de comparer une carte des autoroute et une carte des lignes de chemin de fer à grande vitesse pour voir que le train a encore un énorme retard à rattraper. La liaison Lyon-Chambéry-Turin est un exemple, parmi d'autres, de cet état de fait.

Jusqu'à présent, on a pensé que l'amélioration du réseau ferrovaire ne pouvait se faire qu'avec la création de lignes nouvelles. Or ces lignes nouvelles se heurtent à deux obstacles : les difficultés de financement et l'opposition des riverains. Une autre solution mériterait donc d'être explorée : la réaffectation d'une partie de l'emprise des autoroutes au chemin de fer.

Essayons d'imaginer... Les sections d'autoroute à 2 x 3 ou 2 x 4 voies pourraient être réduites à 2 x 2 voies. Elles conserveraient donc toutes les caractéristiques d'une autoroute. Pour les sections à 2 x 2 voies, ce serait un peu plus compliqué. On pourrait passer à 2 x 1 voie, avec le maintien d'une séparateur central et des bandes d'arrêt d'urgence. Dans les montées, on pourrait maintenir une deuxième voie, pour les véhicules lents. Il faudrait probablement baisser la vitesse maximale autorisée, peut-être à 110 ou à 100 km/h. Même avec ces réaménagements, ces axes resteraient des autoroutes : chaussées séparées, entrées et sorties espacées, à droite uniquement, pas de traversée d'agglomération, pas de riverains, pas de ronds-points, pas de feux tricolores. On pourrait donc y rouler à vitesse régulière et relativement élevée, dans de bonnes conditions de sécurité. La baisse de la vitesse maximale autorisée aurait une influence positive sur la sécurité, la consommation de pétrole et la pollution.

Bien sûr, cette idée n'est pas applicable à toutes les autoroutes. Soit parce que c'est inutile, par exemple dans la vallée du Rhône, qui est déjà pourvue de trois lignes de chemin de fer, dont une à grande vitesse. Soit parce que le profil de l'autoroute, en matière de pente ou de rayon de courbure ne conviendrait pas au train. La solution est certainement, comme très souvent, multimodale : une combinaison d'amélioration de lignes de chemin de fer existantes, de lignes nouvelles, et de ligne aménagées sur des plateformes autoroutières. Ainsi, sur l'axe Lyon - Chambéry, on gagnerait à étudier la modernisation de la ligne actuelle entre Lyon et La Tour-du-Pin, puis la récupération d'un des deux tubes des tunnels de Dullin et de l'Epine et quelques tronçons complètement nouveaux pour faire les raccords.

En lisant cet article, les gens qui me connaissent dans la vraie vie sont peut-être en train de se demander si je n'ai pas perdu la tête. Pourtant, dès la fin des années 1960, certains utopistes proposaient de reprendre à l'automobile des voies de circulation pour les réaffecter aux transports publics. Pire, ils voulaient ressortir du placard un mode de transport dont la France venait juste de se débarrasser : le tramway. A la même époque, les gens sérieux se divisaient en deux catégories. Il y avait ceux qui pensaient que l'avenir était au "tout voiture" et qu'il fallait seulement maintenir quelques services d'autobus pour ceux qui ne pourraient pas conduire, principalement les collégiens et les lycéens. Et y il avait ceux qui pensaient qu'il fallait quelques grands axes de métro, en tunnel ou en viaduc, afin de ne pas gêner la circulation automobile. On connait la suite de l'histoire. La place dévolue à l'automobile a régressé dans les centres des grandes villes, qui ont vu apparaître les rues piétonnes, les couloirs d'autobus, les voies cyclables et, finalement, les tramways en site propre.

A ce propos, l'exemple de l'avenue Berthelot, à Lyon, est édifiant. Percé au XIXe siècle, cet axe partait de la gare de Perrache vers l'est, avec 25 mètres entre les facades. A l'origine, la chaussée faisait moins de 7 mètres de largeur et était parcourue par un tramway. Il y avait avec trois rangées de platanes et deux larges trottoirs en terre battue, où l'espace n'était guère compté aux terrasses de café, aux étalages de marbriers-fleuristes, aux vieux sur leur chaise plainte, aux cyclistes et même aux rares automobiles en stationnement ! A la fin des années 1950, le tram était supprimé, les trottoirs rétrécis, une rangée de platanes abattue et la chaussée portée à 2 x 2 voies. Au milieu des années 1970, une deuxième rangée de platanes était abattue, les trottoirs étaient échancrés entre les arbres pour faire place au stationnement et l'avenue était mise à sens unique, avec un couloir d'autobus à contresens. En moins d'un siècle, la paisible promenade s'était transformée en quasi autoroute urbaine à 4 voies. Qui, à l'époque, aurait cru qu'un changement était possible ? Quelques rares utopistes vraiment pas sérieux ? Pourtant, l'idée de réintroduire le tramway fit son chemin, portée d'abord par les écologistes, puis par la gauche et finalement adoptée et mise en oeuvre par la droite. Aujourd'hui, la chaussée de l'avenue Berthelot fait à nouveau 6 mètres de largeur. Deux nouvelles rangées d'arbres ont été plantées, les trottoirs ont été élargis et, surtout, elle est parcouru par un tramway en site propre qui a repris deux voies à la voiture. Seule l'insertion des vélos a été négligée, ce qui fait qu'ils sont nombreux à circuler sur les trottoirs ou sur la plateforme du tram.

Le train sur l'autouroute, c'est n'est probablement pas pour demain. Mais peut-être bien pour après-demain !