Et si on faisait rouler les trains sur les autoroutes ?
Par Alain Caraco le dimanche 11 décembre 2005, 15:08 - Train - Lien permanent
Quelle idée saugrenue ! Qui pourrait imaginer qu'on va prendre de l'espace à l'automobile sur des infrastructures récentes ? Vraiment, cette idée est aussi stupide que celle qui, dans les années 1960, aurait proposé de supprimer des voies de circulation sur les grands axes urbains pour y faire circuler des tramways en site propre.
Il y a en ce moment un vent de fronde contre le TGV Lyon-Turin. Des manifestations ont eu lieu dans le Val de Suse, en Italie, et ont donné lieu a des affrontements avec les forces de l'ordre. Samedi 10 décembre 2005, une petite manifestion avait même lieu à Chambéry par solidarité avec les italiens. Je peux comprendre que des riverains ne souhaitent pas voir passer une infrastructure supplémentaire dans leur vallée. Cependant, dire aujourd'hui "Non au TGV" sera interprété par une grande partie du public et de la classe politique comme un "Oui à l'autoroute et au camion". Il importe donc de donner au chemin de fer les moyens de redevenir un mode de transport majoritaire pour les moyennes et longues distances, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Or, alors que les pouvoirs publics ont massivement investi dans l'amélioration du réseau routier, notamment par la création des autoroutes, dès les années 1950, les chemins de fer n'ont été améliorés, grâce au TGV, qu'à partir de la fin des années 1970. Il suffit de comparer une carte des autoroute et une carte des lignes de chemin de fer à grande vitesse pour voir que le train a encore un énorme retard à rattraper. La liaison Lyon-Chambéry-Turin est un exemple, parmi d'autres, de cet état de fait.
Jusqu'à présent, on a pensé que l'amélioration du réseau ferrovaire ne pouvait se faire qu'avec la création de lignes nouvelles. Or ces lignes nouvelles se heurtent à deux obstacles : les difficultés de financement et l'opposition des riverains. Une autre solution mériterait donc d'être explorée : la réaffectation d'une partie de l'emprise des autoroutes au chemin de fer.
Essayons d'imaginer... Les sections d'autoroute à 2 x 3 ou 2 x 4 voies pourraient être réduites à 2 x 2 voies. Elles conserveraient donc toutes les caractéristiques d'une autoroute. Pour les sections à 2 x 2 voies, ce serait un peu plus compliqué. On pourrait passer à 2 x 1 voie, avec le maintien d'une séparateur central et des bandes d'arrêt d'urgence. Dans les montées, on pourrait maintenir une deuxième voie, pour les véhicules lents. Il faudrait probablement baisser la vitesse maximale autorisée, peut-être à 110 ou à 100 km/h. Même avec ces réaménagements, ces axes resteraient des autoroutes : chaussées séparées, entrées et sorties espacées, à droite uniquement, pas de traversée d'agglomération, pas de riverains, pas de ronds-points, pas de feux tricolores. On pourrait donc y rouler à vitesse régulière et relativement élevée, dans de bonnes conditions de sécurité. La baisse de la vitesse maximale autorisée aurait une influence positive sur la sécurité, la consommation de pétrole et la pollution.
Bien sûr, cette idée n'est pas applicable à toutes les autoroutes. Soit parce que c'est inutile, par exemple dans la vallée du Rhône, qui est déjà pourvue de trois lignes de chemin de fer, dont une à grande vitesse. Soit parce que le profil de l'autoroute, en matière de pente ou de rayon de courbure ne conviendrait pas au train. La solution est certainement, comme très souvent, multimodale : une combinaison d'amélioration de lignes de chemin de fer existantes, de lignes nouvelles, et de ligne aménagées sur des plateformes autoroutières. Ainsi, sur l'axe Lyon - Chambéry, on gagnerait à étudier la modernisation de la ligne actuelle entre Lyon et La Tour-du-Pin, puis la récupération d'un des deux tubes des tunnels de Dullin et de l'Epine et quelques tronçons complètement nouveaux pour faire les raccords.
En lisant cet article, les gens qui me connaissent dans la vraie vie sont peut-être en train de se demander si je n'ai pas perdu la tête. Pourtant, dès la fin des années 1960, certains utopistes proposaient de reprendre à l'automobile des voies de circulation pour les réaffecter aux transports publics. Pire, ils voulaient ressortir du placard un mode de transport dont la France venait juste de se débarrasser : le tramway. A la même époque, les gens sérieux se divisaient en deux catégories. Il y avait ceux qui pensaient que l'avenir était au "tout voiture" et qu'il fallait seulement maintenir quelques services d'autobus pour ceux qui ne pourraient pas conduire, principalement les collégiens et les lycéens. Et y il avait ceux qui pensaient qu'il fallait quelques grands axes de métro, en tunnel ou en viaduc, afin de ne pas gêner la circulation automobile. On connait la suite de l'histoire. La place dévolue à l'automobile a régressé dans les centres des grandes villes, qui ont vu apparaître les rues piétonnes, les couloirs d'autobus, les voies cyclables et, finalement, les tramways en site propre.
A ce propos, l'exemple de l'avenue Berthelot, à Lyon, est édifiant. Percé au XIXe siècle, cet axe partait de la gare de Perrache vers l'est, avec 25 mètres entre les facades. A l'origine, la chaussée faisait moins de 7 mètres de largeur et était parcourue par un tramway. Il y avait avec trois rangées de platanes et deux larges trottoirs en terre battue, où l'espace n'était guère compté aux terrasses de café, aux étalages de marbriers-fleuristes, aux vieux sur leur chaise plainte, aux cyclistes et même aux rares automobiles en stationnement ! A la fin des années 1950, le tram était supprimé, les trottoirs rétrécis, une rangée de platanes abattue et la chaussée portée à 2 x 2 voies. Au milieu des années 1970, une deuxième rangée de platanes était abattue, les trottoirs étaient échancrés entre les arbres pour faire place au stationnement et l'avenue était mise à sens unique, avec un couloir d'autobus à contresens. En moins d'un siècle, la paisible promenade s'était transformée en quasi autoroute urbaine à 4 voies. Qui, à l'époque, aurait cru qu'un changement était possible ? Quelques rares utopistes vraiment pas sérieux ? Pourtant, l'idée de réintroduire le tramway fit son chemin, portée d'abord par les écologistes, puis par la gauche et finalement adoptée et mise en oeuvre par la droite. Aujourd'hui, la chaussée de l'avenue Berthelot fait à nouveau 6 mètres de largeur. Deux nouvelles rangées d'arbres ont été plantées, les trottoirs ont été élargis et, surtout, elle est parcouru par un tramway en site propre qui a repris deux voies à la voiture. Seule l'insertion des vélos a été négligée, ce qui fait qu'ils sont nombreux à circuler sur les trottoirs ou sur la plateforme du tram.
Le train sur l'autouroute, c'est n'est probablement pas pour demain. Mais peut-être bien pour après-demain !
Commentaires
Mettre les camions sur train est aussi il me semble une grande utopie... et je ne plaisante qu’à moitié....
Il suffit de fouiller un peu dans le dossier de consultation sur la liaison ferroviaire Lyon Turin pour y découvrir que ce projet est avant tout destiné à absorber l’augmentation du trafic. Ces courbes d'augmentation du trafic avaient été faites, au début des années 90, elles montraient une augmentation considérable, ce projet devait contenir et absorber la saturation prévue des infrastructures routiéres et ferroviaires à l’horizon 2010....
Hors, depuis l’année 2000, il semble bien désormais que cette augmentations fléchisse, le volume des échanges se stabilise... la raison de ce ralentis, se trouve peut être dans une entrée plus nette de la Chine sur les étalages, la main d’oeuvre du sud de l’Europe est moins attractive, ce n’est plus là que les entreprises délocalisent...
Cette situation de stabilisation des flux n’empêche pas que la majorité des politiques de droite et de gauche, nous resservent pour justifier ce projet des courbes et des besoins tout aussi vertigineux... et il n’est toujours pas question de mettre moins de camions sur les autoroutes, la ligne ferroviaire historique est loin d'être saturée.
Il est certain qu’il n’est pas facile pour nos pays en ces temps de crise, d’imaginer la baisses des rentrés financières de la TIPP... peut être aussi faut-il regarder ou sont les intérêt des lobby pétroliers, du BTP...
Pourtant, est-ce si difficile d’imaginer d’autres ressources pour l’état ?
IL faudra 15 ou 20 ans pour mettre en service le grand tunnel de base de la Liaison Lyon Turin,
Dans le même temps, il est sans doute possible d’imaginer et construire un train capable d’absorber les déclivité plus fortes des autoroutes. Les lourdes locomotives tirant un convoi, en sont incapables. Peut-être
faut-il poser la question à un ingénieur pour étudier si un convoi dont chaque roue est animée par un moteur électrique peut absorber les déclivités des autoroutes.... il y aurait là de quoi utiliser de jeunes chercheurs et relancer l'industrie et l'ingenerie electrique....
Tant que nous resterons sur des vitesses pas trop importantes, le rail sera un gain en énergie fossile, la roue en acier à un meilleurs rendement et roule mieux que le pneu. Mais il ne faut pas oublier que l’électricité n’est pas une production totalement propre...
Si l’objectif des grands projets était de réduire la pollution, il serait tout naturel d’imaginer faire rouler les marchandises sur les trains, les train sur les autoroutes existantes pour limiter les gaspillages. Les calculs thermodynamiques feraient partie des documents de consultation, la démocratie participative serait respectée avec la mise en place de la commission du débat public....
En Italie ce sont les centrales thermiques, et en France le nucléaire dont on doit aussi envisager l’épuisement des ressources.... il n’est donc pas certain, que la grande vitesse sur rail soit une économie d’énergie si avant cela ils faut percer des tunnels pendant 15 ans et fabriquer d”énormes quantités de béton et d’acier pour construire les ouvrages d’art.
Parfois, au détour d’un document, destiné à mettre une couche d’écologie au projet on insère économique entre développement et durable... révélateur non ?
Dans l'immédiat, le train sur les autoroutes c'est techniquement envisageable, mais politiquement incorrect. Le ferroutage est politiquement correct, il fait admettre la nécessité de l'infrastructure sans la prouver.
Une idée intéressante à creuser, si les trains roulent au centre pour laisser rentrer et sortir les automobiles.... Il faudrait poser la question dans une grandes école d'ingénieurs... ou chez alstom pour relancer la construction electrique....
Je crois intéressant de vous signaler une étude réalisée par Bent FLYVBERG? Professeur à l’université d’ Aalborg au Danemark: Megaprojects and Risk renseignements sur: flyvbjerg.plan.aau.dk/exc...
Dans cette étude, qui porte sur de nombreux projets du monde entier, il tend à démontrer que pour les mega-projets, souvent pour des raisons politiques, les besoins sont toujours sur évalués, et les coûts sous évalués... ce qui conduit dans de nombreux cas à de mauvais investissements.
Nous avons construits le tunnel sous la manche, et la conséquence de ce magnifique chantier est qu’il paraît bien difficile de trouver des investisseurs privés pour financer la liaison Lyon Turin....
Ce n’est pas le rapport d’audit sur les grands projets d’infrastructures de transport publié par le ministère des transport du 4 mars 2003, que chacun peut consulter sur:
www2.equipement.gouv.fr/r...
qui lèvera le doute qui existe entre les volontés politiques et le bien fondé d’un projet comme le Lyon Turin:
p35 “la rentabilité socio-économique est très faible (3,5%). Il convient d’ailleurs de relever que même sous de hypothèses de trafic extrêmement optimistes des scénarii marchandises M7 et voyageurs V5 le projet présente un taux de rentabilité très sensiblement inférieur au taux recommandé.... de 8% ”
P36 “ il est très improbable que les infrastructures existantes soient saturées en 2015 et il est encore trop tôt pour prévoir quand elles le seront.”
A l’examen des différents documents concernant le Lyon Turin, si l’on décode la langue de bois chère à nos politiques, on voit bien qu’il leur devient difficile d’envisager autre chose que des mega -projets.
Il est vrai aussi que pour connaître les gains réels d’un projet en économie de pétrole, il convient de tout évaluer. La ligne historique, avec sa pente de 3% consomme 6,5MW/heure pour emmener un convoi de 1600 tonnes, le même convoi sur le tunnel de base prévu consommera 5MW/h. La consommation sur des pentes de l’autoroute seront bien supérieures, mais sans grosse infrastructure....
Puisque la rentabilité de ce projet Lyon Turin ne semble pas acquise, il faudrait savoir ce qu’un investissement identique apporterai comme gain en économie de pétrole et sur quelle distance en faisant circuler les trains sur autoroutes supprimant camions et pourquoi pas automobiles...
Mais d’ici là, on pourrait même parier que celui qui avancerait cette idée dans un débat public soit accusé de vouloir revenir à la bougie... Même si cette idée tient un peu de la science fiction.
Très bonne interrogation !
J'ai poursuivi le débat sur mon blog blog.oliviermarquet.com