Droit de retrait
Par Alain Caraco le mercredi 19 octobre 2011, 22:14 - Transport en commun - Lien permanent
En moins de deux semaines, des agressions de contrôleurs ont abouti à la paralysie du réseau SNCF et des bus de l'agglomération chambérienne. Dans les deux cas, les personnels ont invoqué un droit de retrait pour ce qui ressemble à une grève sans préavis ni plan de transport adapté et information des usagers.
SNCF
Jeudi 6 octobre 2011, un contrôleur est agressé dans le train Lyon- Strasbourg. Un déséquilibré lui donne plusieurs coups de couteau et le contrôleur doit être hospitalisé dans un état grave. Réaction en chaîne : une part importante des contrôleurs de la SNCF déclarent faire valoir leur droit de retrait. Jeudi après-midi et surtout vendredi, le jour de la semaine où le trafic voyageur est plus intense, la France entière se retrouve sans quasiment sans train. Le trafic reprend progressivement le samedi, sans que le danger pour les contrôleurs soit ni plus ni moins grand qu'avant.
Cette agression est bien évidement atroce et on ne peut que partager l'émotion des contrôleurs. Mais est-ce une raison pour abandonner subitement tout service public ? Il y avait deux contrôleurs à bord du train. Combien en fallait-il ? Quatre, six ? Accompagnés de policiers et d'infirmiers psychiatriques ? Cette horrible agression s'est produite dans un train. Elle aurait pu se produire dans un supermarché ou dans la rue. La société toute entière va t-elle exercer son droit de retrait jusqu'à l'éradication de la folie ?
STAC
Vendredi 14 octobre 2011, des contrôleurs du réseau de bus chambérien (STAC) sont victimes de jets de pierre, dans le quartier des Hauts de Chambéry. L'un d'eux est légèrement blessé. Réaction en chaîne : tous les conducteurs de bus déclarent faire valoir leur droit de retrait et toute l'agglomération chambérienne se retrouve sans transport en commun jusqu'au dimanche inclus. Le trafic reprend lundi matin, sans que le danger pour les contrôleurs soit ni plus ni moins grand qu'avant.
Mardi 18 octobre 2011, des contrôleurs du réseau de bus chambérien sont à nouveau victimes de jets de pierre, dans le quartier des Hauts de Chambéry. La réaction est cette fois ci plus mesurée et semble prise en concertation entre le personnel et la direction du réseau. Seul le quartier où on eu lieu les faits est privé de bus. Mais la zone d'exclusion est très largement supérieure à la zone de l'agression. Une part importante de la population des Hauts de Chambéry ne dispose pas d'autre moyen de transport que le bus. Faute d'avoir interpellé les délinquants, on inflige une punition collective à plus de 10 000 habitants. Fort heureusement, la punition est levée rapidement et, dès jeudi matin, les bus desserviront l'axe principal du quartier, évitant seulement quelques rues.
Droit de retrait ou grève ?
Selon le code du travail (Article L4131-1) :
Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation. L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.
Dans le cas des deux événements qui relatés dans cet article, ce qui est appelé « droit de retrait » est en fait une une grève, mais sans en respecter les conditions légales. Le préavis aurait permis de négocier ; la déclaration préalable aurait d'établir un plan de transport adapté et de prévenir les usagers. Tandis que le trains de la SNCF avaient disparu, ceux d'Eurostar et de Thalys fonctionnaient normalement. Quant à l'interruption des bus chambériens, elle a surtout ajouté des voitures aux encombrements et à la pollution du vendredi soir et du samedi après-midi.
Si le service public est attaqué à la fois par ceux qui veulent le détruire et par ceux qui prétendent le défendre, il est bien mal parti.
Commentaires
Je confirme l'analyse juridique: dans les deux cas, les situations ont conduit à l'exercice du droit de grève hors des conditions légales, et non à l'exercice véritable du droit de retrait.
Une différence à mentionner: la grève suspend la plupart des obligations des deux parties au contrat de travail, et, notamment, l'employeur n'a pas à verser le salaire. Le droit de retrait, au contraire, ne suspend aucune des obligations de l'employeur.
En d'autres termes, le salarié exerçant son droit de retrait est payé, celui qui est en grève ne l'est pas (même à la SNCF, contrairement à un fantasme populaire).
Qu'en déduire? Tout d'abord, que les appels à l'exercice d'un droit de retrait sont beaucoup plus suivis que les préavis de grève. Outre l'émotion instantanée, la question salariale joue certainement beaucoup.
Je crois que l'on assiste à un effet pervers de l'encadrement de l'exercice du droit de grève: sous prétexte d'assurer la continuité du service public (but louable), l'on alourdit les procédures (durée du préavis, déclarations individuelles...). La grève est désormais inadaptée aux réactions "d'émotion" (bien légitime) des salariés. Ils détournent donc le droit de retrait. Qui en blâmer? Les salariés ou ceux qui ont rendu plus difficile l'exercice du droit de grève? A chacun d'en juger.
Pour ma part, si j'étais aux affaires, je faciliterais l'exercice du droit de grève (par exemple, la rendre possible dans de tels cas du jour pour le lendemain: cela laisse un temps minimal d'information et de réaction), mais je pénaliserais (après due information) les salariés faisant jouer leur droit de retrait hors de toute menace pesant sur leur propre personne (cf. code du travail: "SA vie ou SA santé".)